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mercredi 20 juillet 2011

Mediapart: les africains de New York et les retombées de l'affaire DSK


A New York, les Africains se mobilisent, inquiets des retombées de l'affaire DSK

 | PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART
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Un article de Renaud Ceccotti-Ricci, à New York
Un vieux bâtiment en briques rouges transformé en mosquée ; un restaurant sentant les épices et servant le mafé guinéen au poulet mariné et aux patates douces ; un supermarché de produits africains ; une boucherie halal où l'on peut faire abattre chèvres et moutons... Voilà « Little Conakry », la petite Guinée située au beau milieu du Bronx, un des cinq arrondissements de New York avec Manhattan, Brooklyn, le Queens ou Staten Island.
Magasins d'alimentation dans le Bronx, à «Little Conakry».Magasins d'alimentation dans le Bronx, à «Little Conakry».© (R.C.)
Ce vendredi, jour de prière, la petite rue, peu fréquentée d'ordinaire, s'est animée d'un coup. D'un côté, les hommes dans leurs longues djellabas, bonnet blanc sur la tête, égrènent leur chapelet. Ils arrivent à pied ou en bus quand ils ont pu attraper l'un des rares à passer par là. Les femmes, elles, sous leur voile coloré, font la queue devant l'autre entrée du Centre islamique Fula. Ce centre où avait l'habitude de se rendre Nafissatou Diallo, la victime présumée de Dominique Strauss-Kahn.
Les « gipsy cab », ces grosses berlines noires qui s'improvisent taxis clandestins dans les rues de New York et dont les conducteurs sont bien souvent africains, se sont garés en double ou triple file, le temps d'aller prier. Une patrouille de police verbalise les contrevenants sous les yeux d'une vendeuse dominicaine de beignets au crabe frits.
Contrairement à « Little Italy », « Chinatown » ou « Little Odessa », les autres quartiers regroupant des communautés à New York, on ne croise aucun touriste ici. Le guide du routard ne consacre que six de ses 380 pages au Bronx. C'est uniquement pour évoquer les deux seules attractions du quartier : le stade de base-ball des Yankees et le zoo adjacent... Le Zagat, la bible culinaire répertoriant les meilleurs restaurants pour croquer la Grosse Pomme, ne compte que trente restos dans l'arrondissement parmi ses 2115 propositions... Pourtant, si ce Bronx était une ville, ce serait la 7e des Etats-Unis avec son million et demi d'habitants, pour la plupart noirs ou latinos.
Depuis la parution dans la presse d'informations mettant en cause la crédibilité de celle qui accuse Dominique Strauss-Kahn, « Little Conakry » doit faire face à l'afflux d'un nouveau genre de visiteurs : les journalistes. La victime présumée, Nafissatou Diallo, est en effet guinéenne. A 32 ans, dont treize passés aux Etats-Unis, c'est dans ce petit coin du Bronx qu'elle s'était installée avant l'affaire DSK. Partagés entre solidarité pour leur « sœur » et crainte de voir leur retomber dessus la colère de ceux qui la traitent de menteuse, les Guinéens de New York ne savent plus quoi penser.
Mais au-delà, c'est l'ensemble des immigrés d'Afrique, voire des Africains-Américains, noirs également mais présents aux Etats-Unis depuis plusieurs générations, qui se sent concerné par cette affaire.
Dimanche 10 juillet, entouré des responsables de la «Coalition nationale de 100 femmes noires» (leur site est ici) et de l'association «Femmes d'Islam», le sénateur démocrate Bill Perkins, lui-même Africain-Américain, tient une conférence de presse depuis son quartier général à Harlem. Il demande au procureur de Manhattan, Cyrus Vance Jr, de ne pas abandonner les charges pesant contre DSK. A la question de savoir si la race de la victime présumée a joué un rôle dans sa décision de la soutenir, le sénateur de New York est très clair : « Il y a un homme blanc puissant et une femme africaine très pauvre. Ignorer les questions raciales serait ne pas regarder la réalité en face. » Sa lettre au procureur est à lire en cliquant ici.

Attaques contre le procureur.

« Elle (la victime, ndlr) nous représente », estime Virginia Montague, présidente de la Coalition nationale de 100 femmes noires, présente à ses côtés. « Aucun élément ne permet de dire qu'elle a menti sur le viol. Si on lui refuse le droit de se défendre en justice, voire pire, qu'on la punit pour des faits qui n'ont rien à voir avec l'affaire, comme avoir menti pour obtenir ses papiers, alors on fait passer un message fort aux femmes noires en situation précaire : ne portez pas plainte ou cela se retournera contre vous. C'est contre cela que nous nous battons. »
Pour obtenir sa carte de séjour, après plusieurs années passées dans l'illégalité à New York, Nafissatou Diallo aurait notamment évoqué un viol en réunion subit en Guinée. Un viol qu'elle a admis avoir inventé au procureur Cyrus Vance lorsque l'affaire a éclaté et que les fins limiers embauchés par les avocats de DSK se sont penchés d'un peu trop près sur son passé.
Au restaurant Jalloh/Diallo, homonyme de la famille de la femme de chambre.Au restaurant Jalloh/Diallo, homonyme de la famille de la femme de chambre.© (R.C.)
Au « restaurant de la famille Jalloh» (orthographe anglo-saxonne de Diallo et homonyme du nom de la femme de chambre), dans le quartier guinéen du Bronx, les habitués ne semblent d'ailleurs pas offusqués par ce mensonge pour obtenir la fameuse carte verte :« Tout le monde ment pour venir aux Etats-Unis, explique Ousmane, un des clients. La situation économique est tellement mauvaise en Guinée que vous n'avez pas d'autre choix que d'aller vous installer à l'étranger. Ce qui est choquant, c'est que la misère sociale ne soit pas un critère pour immigrer ici et que l'on soit obligé d'inventer des viols ou des meurtres dans notre famille pour avoir le droit de rester... »
A quelques mètres de là, Mamadou Diallo, président du Centre islamique Fula, ne veut pas polémiquer. Il dit ne pas connaître personnellement Nafissatou Diallo et ne pas avoir assez d'informations, « vu que l'on peut lire tout et son contraire dans un même journal aujourd'hui », pour savoir si la victime est crédible ou non. Toutefois, il reconnaît craindre les retombées sur sa communauté s'il était finalement établi qu'elle a menti. « Etre musulman et noir, ce n'est jamais facile aux Etats-Unis, on n'avait pas besoin de cela », renchérit un fidèle agacé par cette soudaine publicité.
Le centre islamique du quartier.Le centre islamique du quartier.© (R.C.)Pour lui donner raison, il convient d'acheter chaque matin le tabloïdNew York Post. Autrefois très virulent avec le« Pervers français »Dominique Strauss-Kahn, il a désormais totalement retourné sa veste et enchaîne les « révélations » plus ou moins vérifiées sur la Guinéenne. Prostituée, proche de trafiquants de drogue... rien ne lui est épargné. Les clichés de la pauvre africaine musulmane incapable de mentir ont laissé place à ceux de l'Africaine vénale décidée à s'enrichir par tous les moyens...
« Les stéréotypes sur les Africains vont resurgir de manière exacerbée si jamais elle a réellement menti », prévient Mamadou Diallo. Le United African Congress, une organisation chargée de représenter les intérêts des immigrants africains à travers les Etats-Unis, a d'ailleurs également organisé une manifestation devant le tribunal de Manhattan pour demander la tenue du procès. « Nous demandons à ce que justice soit faite », lance avec conviction Togba R. Porte, l'un des dirigeants de l'association. « Il y en a assez que ce soit toujours les puissants que l'on écoute et jamais les Africains. »
Ce sentiment d'injustice, la sociologue Holly Reed du Queens College de la City University of New York (CUNY), l'a étudié dans une enquête (à lire sous l'ongler “Prolonger”) intitulée «La nouvelle vague des immigrants africains aux Etats-Unis» pour l'Institut de démographie de son université. Selon elle, le recensement de 2010 devrait établir à 1,2 million le nombre d'immigrés nés en Afrique, soit une augmentation de 50% par rapport au recensement de 2000.

Une des communautés les plus pauvres

Les Guinéens, eux, ne représentent que 3,2% du total des Africains vivant aux Etats-Unis. Les pays envoyant les plus forts contingents d'immigrants sont le Nigeria, l'Ethiopie, l'Egypte ou le Ghana. Toutes ses communautés sont d'ailleurs elles aussi installées majoritairement dans le Bronx à quelques rues seulement de « Little Conakry ». Brooklyn et Harlem sont eux peuplés en grande partie de noirs africains-américains.
90.000 immigrés venus d'Afrique à New York. Ils vivent essentiellement dans le Bronx.90.000 immigrés venus d'Afrique à New York. Ils vivent essentiellement dans le Bronx.© (R.C.)
New York est de loin la ville où l'on compte le plus d'immigrants africains (ils sont 90.000 contre 16.000 à Chicago, la deuxième ville, d'après la dernière étude démographique du gouvernement datant de 2007). Les chiffres de cette étude trahissent une véritable inégalité de traitement entre immigrés nés en Afrique et ceux nés dans le reste du monde.
A titre d'exemple, on notera que, dans un pays où le père du président est pourtant natif du Kenya, 65% des Africains n'ont pas obtenu la citoyenneté américaine, les immigrants nés dans le reste du monde ne sont que 58% dans ce cas. 20% des Africains sont sous le seuil de pauvreté, contre 15% pour les autres immigrants, 37% des Africains sont propriétaires contre 54% pour les autres... On pourrait continuer comme cela pendant longtemps...
Même si les programmes des télévisions africaines sont désormais accessibles sur le câble américain, même si les films de Nollywood (le Hollywood du Nigeria, grand producteur cinématographique) sont en vente dans de nombreux magasins spécialisés et que le nombre de restaurants africains dans les grandes villes du pays augmente chaque jour un peu plus, le sentiment d'être un citoyen de seconde zone, lui, n'a pas disparu.
« Il y a beau avoir désormais un président noir, la situation pour nous n'a pas changé depuis son élection ! » lance déçue Fatoumata, une cliente du restaurant de la famille Jalloh. Attablée devant un bol de soupe, les yeux rivés sur la chaîne de télé guinéenne, la jeune mère de famille de 27 ans est elle aussi femme de ménage. Pas dans un grand hôtel comme Nafissatou Diallo mais dans des bureaux du sud de Manhattan, à une heure de bus de chez elle.
« Je dois y être chaque matin à 5 heures. Malgré ses diplômes en économie, mon mari n'a jamais pu trouver de travail dans une entreprise américaine. Alors il fait le taxi, il travaille en moyenne 14 heures par jour... On vit à 5 dans un 2-pièces dans ce quartier sinistre où on loue 1.500 dollars (environ 1000 euros) l'appartement, mais il n'y a pas vraiment d'autre choix », explique-t-elle désabusée.
« Vous savez, ici, les gens n'ont pas grand-chose, alors quand certains entendent que cette femme va gagner des millions de dollars de dommages et intérêts face à Strauss-Kahn, ils se mettent à être jaloux. C'est ça qui est le plus triste », explique Fatoumata.
« Ils la traitent d'arnaqueuse. La vérité, c'est qu'ils ne savent pas plus que moi ce qui s'est passé au Sofitel. Si elle a été violée, ce n'est pas l'argent qui changera son malheur. Une cousine de mon mari a été abusée par son patron. Il s'est dit qu'elle était noire, qu'elle n'avait pas de papiers et qu'elle ne se plaindrait sûrement jamais à la police. Il a eu raison. En attendant plus personne ne veut se marier avec elle aujourd'hui, les gens l'évitent dans notre communauté. Sa vie est devenu un enfer. Je ne peux pas souhaiter à quiconque d'avoir à vivre ce qu'elle a connu, même pour beaucoup d'argent... »
Renaud Ceccotti-Ricci, à New York
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