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dimanche 3 juillet 2011

La crise grecque: le débat organisé par Mediapart


La gauche face à la crise grecque: le débat Sapin/Laurent

 | PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MARTINE ORANGE ET HUGO VITRANI
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Imaginons: vous êtes député au Parlement grec. Auriez-vous voté le nouveau plan d'austérité, ou rejoint les indignés à l'extérieur de l'Assemblée?
Pierre Laurent. Je siégerai car le moment est crucial pour la Grèce. Mais je voterai contre sans état d'âme. On nous présente le plan d'austérité comme un plan de sauvetage de la Grèce alors qu'il va accentuer l'austérité et accélérer la récession.
Michel Sapin. On ne peut pas se mettre à la place des Grecs. Mais j'aurais tendance à dire que je partagerais le sentiment des indignés sur la place et que je voterais le plan au parlement parce que je serais solidaire de mon parti et de mon premier ministre. Cela ne se fait pas dans la facilité ni dans la gentillesse; et je ne partage pas tous les aspects de ce plan. Mais si je partage l'indignation, je partagerais la responsabilité.


En quoi ce plan peut-il permettre à la Grèce de sortir de la faillite?
Michel Sapin. Je le vote si je suis grec. Mais en tant que Français, j'ai un jugement négatif sur ce plan. Bien sûr, la Grèce doit se remettre en ordre financièrement. Aucun pays au monde ne peut vivre avec 150% d'endettement et des déficits très importants. Mais le principal problème est la brutalité, et le temps. La Grèce n'a plus de revenus fiscaux aujourd'hui, parce qu'il n'y a pas d'administration fiscale, parce que c'est un sport national de ne pas payer la TVA et de frauder à l'impôt sur le revenu ou les sociétés. Et on voudrait que la Grèce, via ce plan, trouve une efficacité à son administration fiscale en un jour?!
Le problème est que l'Europe est dans un entre-deux: on a mis en place un mécanisme d'aide, on ne peut qu'approuver cette direction. Mais par la suite, on s'est dit qu'il fallait quand même faire payer les Grecs. Finalement, les pays empruntent à 2-3% pour reprêter à 6%. On gagne de l'argent sur le dos des Grecs. C'est totalement anormal. Et on ne lui laisse pas le temps de se redresser. Il faut une solidarité immédiate et une solidarité dans la durée.
Vous vous êtes aussi tous les deux dit opposés à une sortie de la zone euro. Quelles sont alors les pistes alternatives au plan d'austérité? Une restructuration de la dette, voire l'annulation de tout ou partie des créances?
Pierre Laurent. Il faut que trois ou quatre pays se lèvent pour faire cesser l'engrenage actuel. Evidemment, le simple refus du plan d'austérité n'est pas une solution. Mais il faut commencer par dire non, pour pouvoir dire oui à d'autres solutions. Sinon le débat sur l'Europe ne s'ouvrira jamais. Il y a déjà eu trop d'occasions manquées. Le non au traité constitutionnel européen en était une. Elle a été gâchée, piétinée par les gouvernements français et européens.
A chaque fois qu'il y a une occasion, va-t-on continuer à refuser de remettre sur la table les orientations européennes?
Par ailleurs, il faut un plan de traitement qui passe inévitablement par une annulation d'une partie de la dette. Avec un endettement de 350 à 400 milliards d'euros, tout le monde sait que la Grèce ne remboursera pas. A fortiori avec le traitement de choc qu'on veut lui infliger puisqu'on lui interdit la croissance, et avec les taux d'intérêt usuraires imposés par les marchés financiers qui vont rincer le pays.
Il faut aussi des mesures de relance d'investissements publics efficaces. C'est là que devrait jouer la solidarité européenne pour réorienter les financements européens et de la BCE. On fait exactement le contraire. On solvabilise les marchés financiers en imposant des plans d'austérité. Finalement, on va de crise sociale en crise sociale.
Et on va vers de nouvelles crises financières puisque, à l'origine de l'effondrement de 2008, il y a cette divergence entre la faible croissance sociale et une excessive croissance financière hyper-spéculative.
Michel Sapin. Si on dit qu'il faut un rééchelonnement, il faut être totalement solidaire. Parce que quand on dit aux marchés qu'ils vont payer pour une dette antérieure, ils ne prêtent plus. La condition d'une restructuration, que je crois juste et nécessaire, c'est une solidarité totale et durable de l'Europe. Vous ne pouvez pas demander la restructuration, comme le demande Angela Merkel, et ne pas accorder la solidarité pour se substituer aux marchés. Sinon ils feront payer la Grèce. La bonne réponse à la crise grecque, ce n'est pas de prêter de l'argent à la Grèce, c'est d'emprunter au niveau européen pour permettre à la Grèce de redresser ses finances sans avoir à faire appel aux marchés.
Que pensez-vous dans ce contexte de la nomination de Mario Draghi, ancien de la banque Goldman Sachs, à la tête de l'institution européenne?
Pierre Laurent. Il y a un aspect éthique scandaleux. Voilà des hommes qui sont directement impliqués dans les mécanismes à l'origine de la crise et qui obtiennent une promotion. Cette nomination est un signe de plus envoyé aux marchés financiers et un encouragement aux agences de notation.
Mais le plus alarmant est la cécité totale des dirigeants européens devant la gravité de la situation. On nous a accusés d'être anti-européens au moment de la campagne du non sur le traité européen de 2005, mais ce sont les dirigeants actuels qui le sont. Par leurs choix aveugles, ils préparent l'éclatement de l'Europe. Si l'Europe est la condamnation à l'austérité à perpétuité, on assistera à des mouvements de refus grandissants, alors que l'on aurait, au contraire, besoin de solidarité pour sortir de la crise.
Michel Sapin. Ce serait un autre, cela ne changerait rien.
Même s'il était chez Goldman Sachs quand celle-ci aidait la Grèce à maquiller ses comptes...
Michel Sapin. Ce n'est pas l'argument fondamental. Ce qui me gêne, c'est que cela ne va pas changer grand-chose à la politique globale de la BCE. Elle a été efficace et utile sur certains aspects pendant la crise mais, sur d'autres, elle continue à utiliser son pouvoir monétaire solitaire sans se préoccuper des aspects économiques et sociaux.
Pensez-vous alors qu'il faille changer le mandat de la BCE et donc revenir sur les traités européens?
Pierre Laurent. On est dans une situation de crise exceptionnelle. Donc, on ne peut pas continuer avec des outils inadaptés. La politique doit reprendre la main dans cette crise. Il faut ouvrir un débat sur les solutions de sortie de crise et sur l'Europe. On ne peut pas continuer sans ce débat. Car une des dimensions, extrêmement préoccupante, de la crise actuelle, c'est la crise de la représentation et de la légitimité démocratique.
Il est invraisemblable qu'on mette en œuvre le pacte Euro Plus (le “paquet gouvernance” qui fixe des critères de finances publiques et de dépenses sociales avec des sanctions automatiques actuellement en discussion à Bruxelles, ndlr) sans aucune consultation à l'échelle européenne. Au niveau du parlement européen, ce pacte fait l'objet de cinq règlements et non de directives, précisément pour éviter tout débat parce que les règlements permettent d'éviter les débats parlementaires au moment de leur transposition dans chaque pays. On nous dit qu'il ne faut pas ouvrir une crise, mais nous sommes déjà dans une crise terrible.
Michel Sapin. On est effectivement dans une crise et donc dans l'urgence. On doit intervenir pour éviter qu'un pays ne tombe dans une crise financière dramatique ou dans une crise sociale et politique. Mais lorsqu'on veut mettre en place un plan d'ajustement, il faut non seulement que ce plan soit économiquement efficace mais aussi socialement et politiquement supportable.
Si on veut croire qu'on peut imposer un plan d'une aussi grande dureté que le plan grec, même voté par le parlement, sans le soutien des Grecs, cela ne marchera pas. Il y aura à un moment une révolte qui provoquera une autre crise.
Quant aux traités, ils n'ont pas empêché les pays de s'abstraire des critères qu'ils fixaient. Rien n'interdit de venir au secours d'un pays en cas de crise exceptionnelle. Il paraît aussi qu'il est écrit quelque part qu'il est interdit à la BCE de racheter la dette des Etats. Qu'a-t-elle fait depuis trois ans? Elle n'a fait que cela. Elle est même devenue le premier détenteur de la dette grecque.
Donc, même avec les traités, il est parfaitement possible d'agir. Cela n'évite pas les questions. Rien n'empêche d'inscrire des avancées supplémentaires. Dans le cas de la Grèce, qui sert un peu de laboratoire, on dit qu'il faut faire payer aux banques une partie de la restructuration de la dette grecque. Sur le principe, on a raison : elles ne peuvent à la fois exiger des 15% -20% d'intérêts sur les taux grecs, et refuser après d'avoir à assumer le risque. Mais si vous dites cela aujourd'hui, vous condamnez la Grèce à payer encore plus cher pour se financer sur les marchés.
La solution est encore plus de fédéralisme. La seule réponse de moyen terme aux crises de l'Europe passe par d'autres avancées de l'Europe. Par une avancée politique. A côté du pouvoir monétaire de la BCE, il faut une politique économique et budgétaire européenne.
Mais comment faire aujourd'hui avec des gouvernements qui ne partagent pas ce constat? Les Allemands sont même opposés à l'idée d'obligations européennes...
Michel Sapin. Ce n'est pas l'Allemagne qui n'en veut pas. C'est Angela Merkel, qui dirige un gouvernement de droite. Elle a une vision populiste et parfois un peu nationaliste. Quand l'Allemagne, la France et le reste de l'Europe viennent au secours de la Grèce, c'est certes pour l'aider mais c'est aussi pour défendre nos intérêts. Si la Grèce tombe en banqueroute, ce sera un événement financier aussi grave que la faillite de Lehman Brothers. Nous n'avons pas à chipoter notre solidarité ni à mettre des conditions sociales et politiques qui soient insupportables. Car elles ne seront pas supportées et, dans ce cas-là, tout éclate.
Pierre Laurent. Dans cette situation, d'accord pour dire qu'il faut plus de solidarité, plus d'Europe. Mais aujourd'hui, notamment avec le pacte Euro plus et les conditions sociales drastiques, on nourrit les mécanismes de crise. Si on parle de solidarité européenne, cela n'a de sens que si on remet en cause ces mécanismes. Sinon, la solidarité revient à partager le fardeau du renflouement des marchés. Pour s'en sortir, il faut retrouver des politiques de relance sociale, probablement sur des modes nouveaux de développement, sociaux et écologiques.
Et si j'entends avec beaucoup de plaisir ce que dit Michel Sapin, le groupe socialiste européen va voter le pacte Euro plus, quand il sera soumis au Parlement. S'attaquer à la racine des problèmes devrait conduire au contraire à une refondation progressive de la conception des traités. Un gouvernement de gauche devra rouvrir ce dossier. Sinon, la France serait inévitablement amenée à subir à très court terme les mêmes pressions des marchés financiers et très vite contrainte à abandonner ses engagements sociaux.
Michel Sapin. Sur le pacte Euro plus, je suis pour un pacte; je suis pour l'euro. Mais je ne suis pas pour ce pacte-là. Le parti socialiste a dit qu'il condamnait les exigences et les modalités définies dans ce pacte. Ce n'est pas, par exemple, à l'Europe de dire quel doit être le système social de retraite dans les pays.
Jean-Claude Trichet a récemment proposé la création d'un poste de ministre des finances de la zone euro. Qu'en pensez-vous?
Michel Sapin. Je ne sais pas si c'est une solution, si c'est pour avoir aussi peu de pouvoir et d'influence que d'autres ministres déjà en place. Il paraît qu'il y a une ministre européenne des affaires étrangères. Mais elle ne donne pas l'impression de peser beaucoup dans une harmonisation des politiques étrangères. En revanche, si c'est pour établir un pouvoir économique, à côté d'un pouvoir monétaire, qui est seul aujourd'hui, bien sûr!
Pierre Laurent. Il est seul précisément parce que les politiques l'ont voulu ainsi. Ce n'est pas ainsi par l'opération du Saint-Esprit. Il est seul parce que l'indépendance de la BCE est justement inscrite dans les traités. 
Michel Sapin. Dans mon esprit, ce n'est pas l'indépendance qui est en cause. Dans le traité de Maastricht, il était prévu qu'il y avait un pilier monétaire et un pilier économique. Le pilier monétaire a été entièrement mis en œuvre. Il n'y a pas eu grand-chose en revanche sur le pilier économique. On voit à quoi cela aboutit.
Quand vous êtes dans la crise, avec simplement un pouvoir monétaire, les réponses ne peuvent qu'être limitées, et univoques. Alors que la crise est d'une tout autre ampleur, il convient d'avoir des approches budgétaires d'intervention, d'harmonisation sociale au bon sens du terme, de grands programmes de recherche, d'un budget européen. Il faut construire ce pilier économique qui manque à l'Europe.
Je prends un autre exemple: le sauvetage de l'Irlande. Il fallait le faire. Mais a-t-on exigé en contrepartie quelque chose au nom de l'harmonisation fiscale? Leur a-t-on demandé de relever leur taux de l'impôt sur les sociétés qui a artificiellement dopé l'installation de sièges de grands groupes et qui est une des causes de leur crise? Non. C'est une question de volonté politique.
Pierre Laurent. Mais le problème n'est pas qu'il manque une politique économique à côté d'une politique monétaire. Le problème, c'est quelle politique monétaire on a? Elle est au service d'une conception du développement économique qui repose précisément sur la compression des salaires et des dépenses sociales, la fiscalité la plus basse possible du capital et du patrimoine, l'encouragement des  privatisations et la libre concurrence. Quand on a élargi l'Europe en intégrant les pays de l'Est, on n'a pas demandé des critères de convergence sociale, on a exigé une mise aux normes financières de ces pays.
Si nous maintenons la conception actuelle de l'euro et qu'on prétend juxtaposer une politique économique sans rien changer, on est dans le mensonge. De même que la création d'un ministre des finances européen ne change rien tant que le contenu des politiques économiques n'a pas été tranché. Au contraire, sans remise en cause des politiques actuelles, sa nomination aggraverait la situation. On utiliserait un fédéralisme accru pour imposer des politiques contre les parlements nationaux. On voit bien ce qui se passe en Grèce actuellement. Les députés grecs sont dos au mur. Il s'agit d'un coup de force.
 | PAR LÉNAÏG BREDOUX ET MARTINE ORANGE ET HUGO VITRANI


Comment faire dans une Europe majoritairement dominée par des gouvernements de droite et qui reflète après tout le rapport de force électoral dans les Etats membres?
Michel Sapin. On commence chacun dans son pays par essayer de faire évoluer la réalité des rapports de force politiques. D'abord en France, après peut-être en Allemagne. Cela changerait beaucoup de choses.
Pierre Laurent. Oui, enfin, un des éléments de la crise politique actuelle est tout de même le consensus sur lequel s'est construit l'Europe – entre des forces libérales voire néo-libérales et une partie non négligeable des forces sociales-démocrates européennes. C'est une des raisons de l'impasse politique dans laquelle se trouvent les forces de gauche.
Quand il est devenu clair que la construction européenne n'allait pas être capable de répondre aux objectifs sociaux qu'elle prétendait se fixer, et c'est clair depuis quelques d'années, on a voulu continuer. On voit bien que c'est une impasse. En Espagne, au Portugal ou en Grèce, les gouvernements de gauche sont condamnés politiquement. Les clignotants s'allument partout.
C'est une question posée à l'ensemble des forces de gauche sur le type de construction européenne. Si les forces de gauche ne le font pas, elles seront progressivement mises en difficulté y compris dans les élections nationales. On verra croître des forces de droite mais aussi d'extrême droite partout en Europe.
Michel Sapin. On est tous pour les débats, mais enfin... Imaginons qu'il y ait un président de gauche en France, et une majorité de gauche au parlement l'année prochaine, il va falloir agir. On sera dans une forme d'urgence française – parce qu'on ne peut continuer avec la politique économique et sociale actuelle – et d'urgence européenne parce que ceux qui s'imaginent qu'on est sorti de la crise se trompent.
Il faudra bien chercher des accords avec les autres pays. Sur quelle base? Sur la solidarité pour aider les pays en difficulté et sur du sérieux sur les finances publiques. Car les politiques sociales ne peuvent pas se financer sur les déficits. Il va donc falloir remettre en cause un certain nombre de dogmes de la droite depuis des années. Comme sur la baisse des impôts. Cela nous a coûté 50 milliards d'euros sous Nicolas Sarkozy.
Oui, mais la gauche plurielle de Lionel Jospin avait fait de même...
Michel Sapin. Elle aurait pu s'en abstenir. Pas tellement pour les montants en jeu mais en raison du signal envoyé, accréditant l'idée que l'impôt est mauvais. C'est sur ce dogme qu'il faut revenir.
On a parfois le sentiment que le PS ne veut pas rouvrir la question européenne, comme traumatisé par le vote de 2005?
Michel Sapin. Je ne partage pas du tout ce sentiment. C'est un élément fondamental du projet socialiste. On ne pourra pas résoudre les problèmes sans une politique européenne.

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