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mercredi 9 mai 2012

MAINTENANT, FRANÇOIS HOLLANDE

Amis lecteurs,
je reprends le titre de l'article d'Edwy PLENEL, publié dans MEDIAPART de ce jour.  Je partage totalement le contenu de cet article et je le soumets à votre sagacité.
Les mois qui arrivent seront difficiles pour la France et l'Europe. Souhaitons que François HOLLANDE, avec d'autres, trouve les bonnes réponses, pour une relance de l'économie, gage de l'amélioration du pouvoir d'achat pour le plus grand nombre. Et espérons que la devise de la République: "Liberté, Égalité, Fraternité" retrouvera tout son sens.
Bonne lecture.


Maintenant, François Hollande


  •  | PAR EDWY PLENEL
    La France tourne la page Nicolas Sarkozy, et c’est heureux. Mais la victoire de François Hollande est fragile parce que courte, malgré une radicalisation xénophobe de la droite qui appelait un vaste sursaut républicain. Elle est surtout provisoire tant que la gauche, dans sa diversité partisane, ne sera pas assurée d’une majorité parlementaire. C’est pourquoi le temps est déjà compté : il faut agir, agir vite et nettement, afin de créer cette dynamique démocratique et sociale sans laquelle le changement ne peut susciter l’adhésion et la confiance. Invitation à l’action en forme d’adresse au nouveau président de la République.
    © (Hugo Vitrani)© (Hugo Vitrani)

    « François Hollande a de bonnes chances de devenir président de la République… »
     J’ai énoncé cette prédiction à votre propos le 11 décembre 2004, dans les colonnes du Monde. Pronostiqueur trop empressé, je me suis trompé de quelques années : je vous y voyais alors dès 2007, cinq ans à l'avance. Mais il est parfois des retards qui sont des ponctualités : vous voici élu président dans l’un de ces moments historiques où la gauche a rendez-vous avec son destin. Car il ne s’agit pas, cette fois, de gérer en s’adaptant aux circonstances, mais de refonder, de réparer et de réinventer. Refonder la République, réparer la France, réinventer l’Europe, oui, rien que cela, et tout cela à la fois.
    Les raisons qui, il y a huit ans déjà, à rebours de l’opinion dominante, me faisaient croire à cette probabilité sont celles-là mêmes qui amenaient les commentateurs supposément autorisés et avisés à vous moquer et à vous sous-estimer. Ayant fait du présidentialisme leur inconscient politique, réduisant l’affrontement des projets et des idées à celui des personnes et des caractères, ils refusaient le costume présidentiel à celui, vous en l’occurrence, qu’ils voyaient comme un homme de parti, avec ce que cela suppose de motions de synthèse et de compromis d’appareil. Or, paradoxalement, ce sont ces défauts supposés qui me semblaient des qualités potentielles. Celles du « nous » démocratique, par opposition au « je » bonapartiste.
    C’est sur la perte de ce « nous » que prospèrent les idéologies du rejet et de la hiérarchie, de l’exclusion et de la séparation, de l’identité fermée et de la frontière close. Et la culture politique diffusée par le présidentialisme, qui réduit le choix de tous à la confiance en un seul, est le meilleur allié de cette régression démocratique tant elle rend les citoyens spectateurs de leur propre dépossession : une politique à distance, une politique professionnelle et lointaine, une politique entre experts et initiés, une politique de cour et de courtisans, voire de mercenaires et de corrompus.
    Nul hasard, de ce point de vue, si l’hyperprésidence sarkozyste s’est conclue par une charge contre les corps intermédiaires : cette politique dévitalisée et discréditée est le marchepied des sauveurs et des bonimenteurs. Fable du pompier incendiaire, elle appelle un chef omnipotent en lieu et place du peuple souverain qu’elle s’est ingéniée à diviser, démoraliser et démobiliser.
    A l’inverse, en prenant peut-être mes désirs pour des réalités – seule la suite le dira –, ce qui me semblait vous distinguer dans le personnel politique, à l’époque où vous dirigiez le Parti socialiste, c’était cette sensibilité démocratique, au-delà de vos orientations stratégiques et choix tactiques, évidemment sujets à débats ou à désaccords.
    « La République est le gouvernement de tous par tous » : vous invitant en 2004 à persévérer dans cette voie, j’avais rappelé ceManuel républicain rédigé en 1871 à la demande de Gambetta par Jules Barni, un philosophe qui est aussi l’auteur d’un essai toujours jeune, La Morale dans la démocratie. Rappelant des évidences piétinées par le cynisme politicien, par exemple que « la vertu est le fondement du gouvernement républicain, comme la peur est celui du gouvernement despotique », ce Manuel souligne qu’une République sans vertu civique « cesse d’être la chose de tous pour devenir la proie des intrigants ou des ambitieux, exploitant au profit de leurs convoitises la portion de pouvoir qui leur est dévolue ».
    Désacraliser la fonction présidentielle
    Vous voici donc à pied d’œuvre. Vainqueur à la première personne du singulier et, en même temps, dépositaire de ce « nous » collectif. Interpellé par Mediapart sur l’usage immodéré du « je » dans la déclinaison de votre programme présidentiel, vous aviez mis cette concession sur le compte d’une posture électorale, affirmation d’une autorité personnelle face à votre adversaire qui la mettait en doute, par contraste avec son hypertrophie égocentrique et égotiste. Mais sur le fond, nous aviez-vous répondu, vous ne retiriez rien de ce que vous m’aviez répondu, en 2006, dans un livre de dialogue, intitulé à votre demande Devoirs de vérité.
    « Ce avec quoi il faut en finir, ce n’est pas l’élection du président de la République au suffrage universel, c’est le narcissisme démocratique – cette identification du pouvoir à un seul d’entre nous », répondiez-vous alors à mes questions insistantes sur le rapport de la gauche au pouvoir, dans le jeu contraint des institutions de la Cinquième République. Loin de vous dérober, vous ne vous faisiez pas prier pour critiquer « cet usage répété du “je” plutôt que du “nous”, la mise en scène de sa personne comme une offre politique à elle seule, ce narcissisme érigé en doctrine qui identifie le pouvoir à celui qui le désire le plus ».
    Si je cite longuement ces propos d’il y a six ans, c’est parce qu’ils résonnent comme autant d’engagements ignorés par les médias dominants, tellement le présidentialisme, et sa servitude volontaire, leur est devenu une seconde nature, alors qu’il conviendrait, aujourd’hui plus que jamais, de vous les rappeler avec force. « Si on ne désacralise pas la fonction présidentielle, on ne rétablira pas la fonction démocratique », disiez-vous carrément dans cesDevoirs de vérité, après avoir confié : « Je ne partage pas la conception d’un président qui ne s’appartiendrait plus, d’un chef de l’Etat qui serait investi d’une mission qui le dépasserait à un tel point qu’il échapperait à sa condition humaine, devenant finalement intouchable, au nom même de la protection des intérêts de la France. »
    « Le problème en France, insistiez-vous encore, c’est que l’on a sanctuarisé le pouvoir et celui qui l’exerce au sommet de l’Etat. (…) Nous faisons comme si la majesté du pouvoir était la majesté du peuple. Elle n’est hélas que le vestige d’un ordre ancien. » Et, pour finir, voici votre conclusion qui enfonçait le même clou :« Une authentique culture démocratique ne se réduit pas à la sélection d’un ou d’une candidate. C’est le projet, c’est le contrat, c’est la politique qui crée la dynamique. C’est le collectif qui porte l’individuel. (…) Une ambition qui ne se partage pas finit toujours par s’égarer dans l’aventure, l’échec ou l’impasse. Un pays ne se transforme pas par les intuitions d’un seul, fût-il investi par le suffrage universel. »
    Tels sont les mots qu’il vous faut aujourd’hui transformer en actes. Non pas seulement en symboles éphémères, mais en déconstruction durable d’un présidentialisme hypertrophié, méprisant la séparation des pouvoirs et piétinant l’autonomie des contre-pouvoirs, afin de reconstruire une démocratie vivante qui redonne confiance et crédit à nos concitoyens dans leur avenir commun et dans la politique pluraliste qui en décide et en délibère. La normalité que, candidat, vous avez revendiquée recouvre cette exigence d’une présidence désacralisée et, de ce fait, exemplaire car rendue à la vertu publique : celle de l’égalité républicaine, de l’égalité des droits et des possibles, contre le règne de l’exception et du privilège.Déjouer le piège du présidentialisme
    Ne croyez pas que vous avez un quinquennat devant vous pour effectuer cette restauration républicaine et démocratique. Si vous ne le faites pas maintenant, vous ne le ferez jamais. Car, si vous n’y prenez garde, ce piège redoutable du présidentialisme se refermera très vite sur vos bonnes intentions. Ses conforts et ses raccourcis proposent des succès tentateurs et rapides, mais qui seront autant de perdition et d’éloignement pour la cause dont vous vous êtes réclamé. La sacralisation du chef, la politique à la verticale et l’éternité du pouvoir qui en sont les ressorts finiront par corrompre et égarer la gauche dont vous êtes issu, tant leur esprit autoritaire, hiérarchique et immobile est éloigné de ses valeurs fondatrices. Celles-là mêmes qui ont produit la devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité.
    © (Hugo Vitrani)© (Hugo Vitrani)

    Dans notre dialogue de 2006, vous rappeliez la formule terrible de François Mitterrand sur ces institutions dangereuses avant lui et qui le resteraient après lui. Et vous ajoutiez, en commentaire de cet aveu d’échec ou d’impuissance après quatorze années de présidence : « Aujourd’hui, rien ne nous assure que le pouvoir fera un bon usage du mandat qu’il a reçu. » Autrement dit, aucune garantie véritable ne nous est donnée par nos institutions sur le contrôle du pouvoir et de son exercice. Et il peut arriver, hier – nous en avons eu la preuve depuis 2007 – comme après-demain – qu’en sera-t-il de la droite extrême en 2017 ? –, qu’il tombe entre de mauvaises mains…
    Soyez donc prévoyant : ne vous contentez pas d’utiliser à votre profit immédiat des institutions qui, en l’état, vous confèrent un pouvoir immense ; veillez plutôt à les réformer pour le profit durable d’un peuple qui, dans la diversité confuse de ses votes, aspire à partager le pouvoir. Loin d’être un luxe dans un contexte de crise économique et sociale, la question démocratique en détient en grande part la clé. Car elle libère l’énergie positive d’une république redevenue bien commun, dont tous les citoyens sont réintégrés dans la cité, égaux en droits et en devoirs, acteurs de leur destin, et non plus spectateurs passifs, tenus dans cet exil et cet écart dont le spectacle politique télévisuel, dégradé et désinformé, est devenu le symbole détestable.
    Le présidentialisme n’est pas seulement ce poids des palais, des dorures, des cortèges, des protections, des cabinets, des collaborateurs, des solliciteurs, etc., qui pèse sur le président de la République, en même temps que ces contraintes et ces facilités l’isolent et le protègent. C’est aussi ce miroir que s’empresse de lui tendre un monde médiatique dominant qui en a épousé les travers et les corruptions : suiviste plutôt que distant, courtisan plutôt qu’impertinent, conformiste plutôt qu’audacieux. Vous verrez, vous voyez déjà autour de vous les mêmes empressements dont votre prédécesseur se fit une gloire, confondant sciemment fonction présidentielle et aventure personnelle.
    Sous l’alibi d’une politique personnalisée, incarnée et humanisée, la confusion des vies publique et privée est ici le piège le plus redoutable. De la sollicitation télévisuelle de votre entourage filial, au soir de la victoire, à l’invention médiatique d’une première dame, fonction qui n’existe aucunement dans notre République, cet engrenage est déjà à l’œuvre. Loin d’être secondaire, cette diversion est essentielle, illustration de ce long processus, dont nous ne cessons de payer le prix civique, qui associe dépolitisation de la société et dévitalisation de la démocratie.
    « Il faut se garder de comparer l’Etat à une famille », disait un autre de ces philosophes trop oubliés de l’idéal démocratique, Charles Renouvier, auteur lui aussi d’un Manuel républicain, de 1848 celui-là. La distinction du privé et public est une pédagogie politique décisive, soulignait-il, car elle est aussi apprentissage de la distinction entre le particulier et le général, école d’élévation et distance, de hauteur et d’ouverture. A l’inverse, la personnalisation rabaisse la politique, l’anecdote privée l’emportant sur la réflexion publique, et transformant chaque citoyen en spectateur avide d’une saga dont, en même temps, il est exclu.Ne pas laisser le temps au temps
    J’évoque volontairement dans cette adresse ce dont on ne vous parlera pas ou peu. La démocratie, la vertu, la justice, la morale, le droit, l’égalité… Tout ce que l’on vous invitera à remettre à plus tard, tant il y a d’autres urgences : des sommets internationaux, des négociations européennes, des déficits financiers, des nécessités économiques, etc. Je les connais, comme chacun d’entre nous, et elles sont en effet plus que jamais pressantes, et immenses : inventer une alternative à la crise, pénaliser la spéculation financière, enrayer la dérive de l’Europe, sortir du piège afghan, restaurer la justice sociale, rétablir des fraternités avec nos voisins méditerranéens, et la liste n’est évidemment pas exhaustive.
    © (Hugo Vitrani)© (Hugo Vitrani)

    La vérité, c’est que tout est lié : questions internationales et contexte national, choix économiques et sociaux tout comme options démocratiques et républicaines. Et le tout appelle quelques décisions rapides, à la fois fortes, simples, concrètes. Car, derrière cette imbrication de ce qui se mesure de façon comptable et de ce qui relève de l’éthique politique, se joue une donnée capitale pour sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes embourbés : la confiance. Cette confiance qui n’est pas une réalité quantifiable ou modélisable, mais qui fait la décision d’une politique, de son efficacité et de sa réussite.
    Votre victoire, le 6 mai, fut surtout de rejet d’une présidence sortante qui humilia et brutalisa le pays. En même temps, au spectacle de l’immense vague de jeunesse qui ondulait place de la Bastille, vous avez pu voir combien elle a d’emblée suscité d’espoir enthousiaste, d’attente impatiente et d’exigence forte (icile diaporama d'Hugo Vitrani,  celui de Patrick Artinian). Devant l’immensité de la tâche, vous ne réussirez qu’à condition de transformer cette espérance en adhésion, en dynamique et en mobilisation. Seul ce réveil populaire pourra entraîner cette partie de notre peuple aujourd’hui égarée par des prophètes de malheur sur la voie du ressentiment, encombrée de peurs et de boucs émissaires, et, si nous n’y prenons garde, de haines et de violences.
    N'écoutez donc pas les conseils qui vous serineront qu’il faut laisser le temps au temps. C’est le refrain de ceux qui gouvernent par adaptations successives, c’est-à-dire par résignations cumulatives. Avec plus de 48 % des suffrages portés sur un candidat sortant dont la campagne fut explicitement nationaliste, démagogique et xénophobe, transformant le monde en ennemi, les chômeurs en assistés et les étrangers en envahisseurs, l’heure n’est pas aux tergiversations, demi-mesures opportunes et compromis illisibles. Le changement, c’est maintenant, avez-vous dit. Il ne suffit plus de l’avoir dit, il faut le faire vraiment et maintenant, vraiment maintenant.
    « Cette nation a besoin d’action, d’action tout de suite »« il nous faut agir rapidement »« telles sont les lignes d’attaque » : j’ai retrouvé ce refrain d’urgence dans le célèbre discours d’investiture, celui du New Deal – la nouvelle donne –, prononcé le 4 mars 1933 par le démocrate américain Franklin Delano Roosevelt, élu président des Etats-Unis d’Amérique dans le contexte d’une crise mondiale aussi ample que l’actuelle et, l’histoire nous l’a hélas enseigné, lourde de tempêtes dévastatrices. Il y évoquait justement cette question de la confiance en la liant à « des changements éthiques », pédagogie politique d’une solidarité nationale à rebours de l’égoïsme marchand et du profit financier.
    La nouvelle donne française suppose un peuple qui adhère, s’active et se mobilise. Au risque de vous bousculer, et c’est heureux. D’exiger, de revendiquer, d’inventer. Loin de craindre ce réveil, vous devez l’envisager comme votre meilleur allié si, en effet, vous voulez changer, et changer vraiment. Car la pire menace serait, à l’inverse, comme le rappelait un réformiste radical dont le parrainage vous va bien, Pierre Mendès France évidemment, « la négligence ou l’inertie des citoyens »« Eux seuls, ajoutait-il dans La République modernepeuvent faire vivre la démocratie, en la portant, jour après jour, dans une action incessante de solidarité. »

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