Balladur 1995: le juge recherche les «petits cartons» d'Hortefeux
02 JUILLET 2011 |
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Qui a enrichi le compte de campagne d'Edouard Balladur à son insu? C'est la question que la justice est réduite à poser au staff de l'ancien premier ministre, candidat à l'élection présidentielle de 1995. L'argent liquide déposé sur son compte de campagne s'élève à 15.006.064 francs, selon le dernier décompte effectué par les enquêteurs. Ce qui laisse ouverte l'hypothèse d'un financement par des rétrocommissions des marchés d'armement signés à l'époque, avec le Pakistan et l'Arabie saoudite.
Entendu le 10 mai et 14 juin par le juge Renaud Van Ruymbeke, en charge du volet financier de l'affaire Karachi, René Galy Dejean, l'ancien trésorier de campagne de M. Balladur, pointe désormais avec insistance la responsabilité de la «cellule meetings» de la campagne concernant ces fonds litigieux.
«C'est M. Hortefeux qui dirigeait la cellule meeting», a souligné René Galy Dejean, le 10 mai, après avoir précisé avoir reçu les fonds en liquide de cette même cellule, fonds qui lui étaient livrés dans des «petits cartons». Brice Hortefeux, alors proche collaborateur de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly-sur-Seine, puis au ministère du budget, aurait donc pu jouer un rôle dans l'épisode le plus controversé de la campagne de Balladur.La «cellule meetings» qu'il animait est d'ailleurs soupçonnée d'avoir eu recours à des sociétés de sécurité partiellement rétribuées au noir, pour encadrer rassemblements publics et conférences de presse du candidat. Olivier Michaud, le patron d'une de ces sociétés, a récemment indiqué avoir reçu 3,2 millions de francs par chèques et 5,2 millions de francs en espèces des animateurs de la campagne.
«Il s'agit du poste le plus litigieux et le plus opaque» des comptes de campagne, selon un rapport de la police judiciaire daté du 10 mars dernier et cité par Le Monde. En cause, selon la police:«l'origine des fonds», «le versement de certains montants» et «la façon de les déposer». «Nous n'avons retrouvé aucun bordereau de dépôt concernant les collectes en espèces dans les archives du compte de campagne de M. Balladur», relèvent les policiers.
Certains meetings importants n'étaient d'ailleurs suivis d'aucun dépôt. Les enquêteurs se sont focalisés sur les circonstances du dépôt, le 26 avril 1995, des 10.050.000 francs – dont Mediapart a révélé l'existence, dès le mois d'avril 2010.
Réentendu le 14 juin dernier, le trésorier de la campagne de Balladur, René Galy Dejean, maintient n'avoir déposé que 3 millions en espèces ce jour-là. Or, le Crédit du Nord, la banque où était domicilé le compte de campagne de M. Balladur, n'a enregistré que deux dépôts, le 26 avril 1995: l'un de 10.050.000 francs et le second de 200.000 francs. «Il n'y a aucun trace bancaire ou comptable d'un dépôt de 3 millions de francs, pour la bonne et simple raison qu'il n'existe pas de dépôt de ce montant ce jour-là», a tranché la PJ. «L'origine de cette somme» n'est donc«pas justifiée».
Edouard Balladur va devoir expliquer qui a rempli son coffre bancaire sans que son équipe s'en aperçoive. Devant les policiers et le juge Renaud Van Ruymbeke, René Galy Dejean, témoin assisté dans l'affaire, Evelyne Raulhac et Raymond Huard, membres de la cellule trésorerie de la campagne, ainsi qu'Alexandre Galdin, ancien assistant parlementaire de René Galy Dejean, ont refait le film du mystérieux versement.
Verbatim en sept actes.
1) Une montagne d'argent
— Alexandre Galdin: «Quand je suis arrivé au QG un matin, Evelyne et Raymond avaient un gros tas de billets. Les tables étaient recouvertes de billets. Raymond avait une très grosse valise en faux cuir marron souple. Ils ont rempli la valise. Pour ce dépôt particulier, il y avait essentiellement des billets de 500 francs. Je n'avais jamais vu une somme pareille. J'étais surpris. Raymond a dû me dire de ne pas poser de questions. Je n'ai jamais eu d'explications.»
— Evelyne Raulhac: «C'est vrai que nous devions être en train de remplir des sacoches ou cette valise, en vue d'aller déposer cet argent. (...) Nous empilions les liasses en fonction des types de billets. Il y avait beaucoup de liasses de 500 francs, c'était la première fois que j'en voyais autant de ma vie. (...) Nous avons passé une bonne partie de l'après-midi et et de la soirée à compter les billets. Il y avait essentiellement des billets de 500 francs et 100 francs. Nous les avons mis en tas en le regroupant et nous avons fait tenir les liasses au moyen de trombones et d'élastiques.»
— Raymond Huard: «Cet argent se trouvait dans une salle de réunion du QG. Evelyne m'a demandé de venir avec elle pour compter l'argent. Elle m'a demandé de couper des bandelettes avec un massicot pour pouvoir compter les billets. On y a passé du temps. C'était un après-midi et le début de la soirée. Comme on avait fini tard, M. Galy Dejean m'a invité avec Evelyne au Drugstore Saint Germain. Je me souviens que j'étais effaré par la masse de cet argent.»
«Cette somme venait de la cellule meetings»
2) Le coffre-fort
— Evelyne Raulhac: «Tout cet argent provenait de l'armoire forte. Le 25 avril 1995, je tiens à vous dire que j'ai découvert cette somme, qui soi-disant était arrivée au fur et à mesure, mais pour ma part, je n'avais jamais vu cette somme d'argent dans l'armoire. Une partie de cet argent se trouvait dans plusieurs petits cartons, posés sur l'étagère de l'armoire, et donc cela n'était pas visible à l'œil nu. Je savais qu'il y avait différentes sommes qui étaient arrivées par le biais des meetings et qu'il fallait déposer cet argent. (...) lorsque j'ai eu cette somme entre les mains, M. Galy Dejean nous a dit à Raymond Huard et moi-même que cela provenait des recettes meetings.
«Il est sûr qu'une personne est venue me déposer des sommes d'argent importantes. Pour moi cette somme m'a été présentée comme provenant de collectes. Je ne me suis pas posée de questions particulières.»
3) L'ombre de la cellule “meetings”
— René Galy Dejean: «Je n'exclus pas que ces fonds m'aient été remis dans de petits cartons, (...) par une personne que je connaissais pas de la cellule meetings. C'est M. Hortefeux qui dirigeait la cellule “meetings”.»
4) Un mélange de petites et grosses coupures— Alexandre Galdin: «Ces mélanges avec des billets de 500 francs permettaient de faire croire à la banque que ces sommes venaient de collectes ou de recettes de meetings. Je savais éperdument (sic) que cela n'était pas la réalité mais je tiens à dire que ce n'était pas moi qui mélangeait les recettes avec du numéraire de provenance inconnue. Mon travail était simplement de faire le coursier pour la cellule trésorerie. (...) A l'époque, je pensais que c'était des fonds secrets. Ce qui est sûr, c'est que cette somme ne provient pas des collectes ou des recettes de meetings, d'autant que j'avais réalisé de nombreux dépôts auparavant.»
5) Les clés du coffre
— Evelyne Raulhac: «En principe j'avais les clés, et je pense qu'il n'y avait que moi (en dehors) de M. Galy Dejean. Toutefois, cette clé était à la disposition de la cellule trésorerie. Je ne pense pas qu'une personne aurait pu déposer une grosse somme à mon insu.»
6) La somme réunie le 25 avril
— René Galy Dejean: «Cette somme venait de la cellule meetings (...) elle s'élevait à 3 millions environ. C'était des coupures usagées pour la plupart sinon la totalité.»
— Evelyne Raulhac: «Moi je ne me souviens plus de la somme exacte. Je suis incapable de dire si ce montant s'élevait à 3 ou 10 millions. »
7) A la banque, l'autre comptage
— Evelyne Raulhac: «Je me suis rendue à la banque avec M. Galy Dejean (...). C'était Bd Haussmann, j'ai attendu dans une pièce, peut-être avec M. Huard. Je n'ai pas assisté au comptage.»
— René Galy Dejan: «Mme Raulhac n'est pas venue. Je suis allé directement au sous-sol de la banque avec M. Galdin qui portait la valise.»
— Le juge : «Comment expliquez-vous que 10.050.00 francs aient été déposés à la banque ? D'autres personnes auraient-elles pu déposer de l'argent à la banque à votre insu ?»
— René Galy Dejean: «N'ayant déposé avec Galdin que 3 millions dans une valise, forcément quelqu'un d'autre ou d'autres personnes ont déposé le complément, les 7 millions. Ce peut être les mêmes qui le lendemain ont déposé 200.000 francs.»
— Le juge: «Le reçu de la banque fait état de quatre sacs contenant l'argent. Or M. Galdin fait état d'une valise de billets.»
— René Galy Dejean: «Je n'ai pas vu de sacs. J'ai déposé trois millions avec M. Galdin et ils se trouvaient dans une valise.»
— Evelyne Raulhac: «A mon avis, la valise c'était une grosse sacoche.»
— Jacques Gardon, responsable de l'agence du Crédit du Nord:«Je ne me rappelle pas avoir vu quelqu'un d'autre que lui (M. Galy Dejean, ndlr) le 26 avril, jour du dépôt des 10,2 millions de francs. S'il y avait eu deux passages dans la journée, je l'aurais su. Pour moi, il a déposé la totalité de la somme.»
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