Anne Mansouret: au PS, «tout le monde savait»
19 MAI 2011 |
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Pas un moment du long entretien qu'elle accorde à Mediapart son regard ne tremble ni n'hésite. Anne Mansouret, conseillère générale et régionale socialiste en Haute-Normandie, est directe et diserte. Elle accuse Dominique Strauss-Kahn d'avoir agressé sexuellement sa fille et affirme qu'elle avait prévenu les principaux dirigeants socialistes, comme François Hollande ou Laurent Fabius.
Il a fallu l'arrestation spectaculaire de Dominique Strauss-Kahn pour briser le silence. Dès dimanche, Anne Mansouret met l'affaire sur la place publique. Elle accorde coup sur coup trois interviews (France-3 Région, Paris-Normandie, Rue 89), et provoque la stupéfaction du monde politique en affirmant brutalement qu'elle regrette d'avoir dissuadé sa fille de porter plainte.
Sa fille s'appelle Tristane Banon. Jeune journaliste et écrivaine, elle a accusé, en 2007, au beau milieu d'un talk show nocturne, Dominique Strauss-Kahn de l'avoir agressée sexuellement cinq ans plus tôt. Mais à l'époque, le témoignage fait à peine quelques vagues. Aucune plainte n'a été déposée. Et l'affaire est vite oubliée.
Elle a certes été évoquée dans certains médias en 2008, quand DSK est mis en cause pour avoir eu une relation adultère avec une responsable du FMI. Mais sans suite. Les livres sur l'ancien directeur général du FMI n'en font pas davantage mention, à l'exception du Roman vrai de Dominique Strauss-Kahn, qui met largement en doute le témoignage de la jeune femme. L'ouvrage sur les mœurs des politiques, Sexus politicus, y fait aussi référence, mais sans nommer Tristane Banon.
Pourtant, au-delà de la véracité ou non des faits – faute d'enquête et de procès –, une chose est certaine: le parti socialiste était au courant. En 2002, Anne Mansouret avait en effet averti ses camarades, notamment le premier secrétaire de l'époque, aujourd'hui candidat à la primaire, François Hollande. «Il a été formidable, d'une gentillesse... Il a téléphoné personnellement à Tristane, il a été superbe», décrit l'élue normande.
Le bras droit du député de Corrèze, Stéphane Le Foll, confirme:«Je n'ai pas eu directement à gérer cette affaire. Mais je sais que cela a été évoqué, François a essayé de le faire de façon très respectueuse. Il avait appelé Tristane Banon, il n'a pas cherché à imposer quoi que ce soit, il l'a écoutée et a essayé de la rassurer. C'était lui en direct qui gérait.»
«C'était une conversation privée»
Autre ténor du PS, et figure tutélaire des socialistes du nord-ouest de l'Hexagone, qu'Anne Mansouret dit savoir informé des accusations de sa fille: Laurent Fabius. Là, la réaction n'est pas la même:«Il a dit “je ne veux pas savoir, je ne veux pas être au courant”.» Cela n'empêche pas la mère de s'ouvrir de l'agression présumée de sa fille auprès d'autres fabiusiens.«Quand il est parti aux Etats-Unis, j'ai dit à des fabiusiens, dans le cadre de la région, “il prend quand même un sacré risque d'aller se coller au FMI parce que, là-bas, les histoires de mœurs, ils ne pardonnent pas... Dominique qui a tendance à coincer dans les ascenseurs, s'il dit simplement à la fille qu'elle a un beau cul, il se fait arrêter par la police en sortant de l'ascenseur”», raconte-t-elle. Puis ajoute: «Et j'ai pu vérifier que tout le monde savait, à Paris ou ici, dans les congrès, les conventions, que c'était ce qu'on appelait entre nous “un coinceur”. C'est-à-dire un obsédé sexuel. Ce qui pose quand même un certain problème.»
Surtout pour ceux qui étaient avertis des accusations portées par Tristane Banon. Pourquoi le PS est-il alors resté silencieux, prenant même le risque de faire de DSK leur favori pour la présidentielle? A Solférino, le silence, gêné, est de mise tant les responsables socialistes semblent sous le choc et craignent«d'enfoncer davantage» l'ancien directeur général du FMI. Rares sont ceux qui acceptent de répondre.
Laurence Rossignol, secrétaire nationale à l'environnement, était permanente à Solférino quand la fille d'Anne Mansouret a accusé Dominique Strauss-Kahn. Elle en a même discuté avec sa camarade de l'Eure. Mais, dit-elle aujourd'hui, «je n'ai jamais fait état auprès de qui que ce soit de conversations privées avec les gens». Et même s'il s'agit de graves accusations concernant un délit pénal? «C'était une conversation privée, elle l'est toujours», rétorque-t-elle.
Gaëlle Lenfant, secrétaire nationale aux droits des femmes, n'était pas dans la boucle au moment des faits présumés. Pourtant, elle«connaissait l'histoire de Tristane Banon et de sa mère. Mais il n'y a eu aucune saisine en interne à ma connaissance», explique-t-elle. Avant d'ajouter: «Si c'est vrai, c'est horrible... La question alors serait celle de l'autocensure provoquée par la société. La société est toujours mal à l'aise sur les histoires de violences faites aux femmes...»
Sollicités par Mediapart, François Hollande, Laurent Fabius et Guillaume Bachelay, qui siège au conseil régional avec Anne Mansouret, n'ont pas répondu.
«Cela nous était sorti de la tête»
L'élue normande dit n'avoir reçu aucun signe de la direction de son parti, depuis ses déclarations tonitruantes de dimanche. Elle a reçu des messages de soutien de plusieurs militantes – que des femmes. Mais rien de Solférino. Quant à ses camarades locaux, le secrétaire fédéral de la section PS de l'Eure lui aurait demandé de «fermer sa gueule». Faux, rétorque Yves Léonard, qui affirme n'avoir envoyé qu'un mail à tous les militants où il évoque le manque de retenue «d'une élue euroise». «Beaucoup de camarades ont été choqués de la simultanéité de ses déclarations...», explique-t-il.
Lui n'est premier fédéral que depuis 2008, mais il était au courant de «l'affaire Tristane Banon»: «On m'en avait parlé... Mais cela faisait belle lurette qu'Anne n'en parlait plus. On avait du mal à être complètement certain des accusations. Il y avait une forme d'incrédulité. Et puis, elle semblait avoir réglé cette affaire. Il y a aussi eu le livre de sa fille où elle parle des relations très difficiles avec sa mère... Tout cela semblait un peu confus. Anne parle beaucoup: quelle était la part de vérité? Enfin, cela faisait partie d'un fond qui traînait mais cela nous était sorti de la tête.»
L'affaire est en effet délicate pour le PS: à l'époque des faits présumés, Tristane Banon, soutenue par sa mère, décide de ne pas porter plainte. En l'absence de poursuite judiciaire, il était donc très difficile pour les socialistes de mettre en cause officiellement Dominique Strauss-Kahn, a fortiori de le sanctionner. Et ils en finissent même par oublier l'affaire. Comme si les accusations de Tristane Banon n'avaient jamais existé.
«Quand on est dans certains groupes, on mange, on parle, on se marie Michelin, analyse Anne Mansouret. Idem à Gaz de France. Il y a une culture d'entreprise qui s'est développée au PS depuis des années. Cette culture d'entreprise veut dire qu'on a des règles, des non-dits.»
Mais rue de Solférino, comme ailleurs, la culture d'entreprise a ses limites. C'est en entendant la strauss-kahnienne Michèle Sabban défendre le directeur général du FMI, victime selon elle d'un complot, qu'Anne Mansouret a accepté de parler à Mediapart pour rétablir ce qu'elle estime être un portrait plus juste du leader socialiste.
Une grande partie de l'entretien est consacrée au récit d'une rencontre avec son camarade «Dominique» après l'agression présumée de sa fille. C'était, dit-elle, «deux ou trois semaines après», dans un bistrot à deux pas du conseil régional d'Ile-de-France, dans le VIIe arrondissement de Paris. Ils ne sont «pas amis», ils n'appartiennent pas au même courant du PS, mais ils se sont déjà croisés dans un cadre politique et l'ancienne épouse de DSK est une amie d'Anne Mansouret. Elle est d'ailleurs la marraine de Tristane, qui est elle-même très proche d'une des filles Strauss-Kahn.
«J'ai fait une grosse connerie»
L'échange dure «une heure», le ton est cordial. Du moins au travers de ce qu'en raconte l'élue de l'Eure des années plus tard. Elle dit: «Il avait l'air sincèrement navré.» Plusieurs fois, elle répète: «Il était sincère... Sincèrement, je l'ai cru.» Dans ses souvenirs, Dominique Strauss-Kahn lui dit tout de suite: «Ecoute, je ne sais pas ce qui m'est arrivé, j'ai pété un câble. Je l'avais invitée parce que j'avais l'impression qu'elle était d'accord, ensuite j'ai pété un câble.»
D'après son récit, DSK propose de revoir Tristane Banon, après un premier rendez-vous à l'Assemblée dans le cadre de la préparation du livre publié par la jeune femme en 2003, Erreurs avouées. Elle a tapé dans l'œil de l'ancien ministre, «il avait eu l'impression qu'il lui plaisait».Anne Mansouret tente de comprendre: «Oui mais là, tu ne l'as pas draguée. Tu ne lui as pas proposé une partie de cul, mais une interview pour dire des choses. C'est quand même un peu gênant. Elle ne venait pas pour baiser.» DSK répond, selon elle: «Oui, mais je pensais qu'elle avait compris.» Anne Mansouret argumente encore, sur le jeune âge de sa fille, sur son amitié avec la propre fille de Strauss-Kahn: «J'ai essayé de lui expliquer tout ça. Apparemment, il n'a pas tout compris, mais il était de bonne foi. Il était inconscient.»
Finalement, DSK lâche, croit se souvenir sa camarade: «Ecoute, on se connaît, je te prie d'accepter mes excuses... Maintenant que tu me dis, je pense que j'ai fait une grosse connerie. (...) Je ne pensais pas que cela l'aurait traumatisée.» Des années plus tard, Anne Mansouret pense encore que son camarade «n'était pas conscient de la portée de son acte». Lui n'est pas là pour livrer sa propre version. Le témoignage est invérifiable.
Mais un proche de DSK a vivement démenti les propos de Tristane Banon: il s'agit de Ramzi Khiroun, proche conseiller de l'ancien maire de Sarcelles et désormais connu pour être «l'homme à la Porsche». Dans le Roman vrai de Dominique Strauss-Kahnde Michel Taubmann, il évoque la piste de la vengeance: Khiroun se vante en effet d'avoir obtenu de l'éditeur de l'époque de la jeune femme, Alain Carrière, la suppression du chapitre consacré à DSK. Selon lui, Banon aurait conclu son entretien avec lui par ses mots:«Je me vengerai de Dominique Strauss-Kahn.»
La justice tranchera peut-être un jour. En début de semaine, l'avocat de Tristane Banon, le médiatique David Koubbi, a promis qu'elle allait poursuivre DSK. Mais aucune plainte n'a encore été déposée. Le délai de prescription de trois ans pour les agressions sexuelles est aujourd'hui dépassé. Seule reste recevable par la justice une accusation de tentative de viol – prescrite au bout de dix ans. C'est-à-dire 2012.
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