Amis lecteurs,
Voici, pris sur le site du Nouvel Observateur, une belle analyse du débat Juppé-Hollande, par un gaulliste, Jean François Probst. Et ce consultant affirme qu'il ne votera pas Hollande.
"Des paroles et des actes" : pourquoi Juppé n'aurait pas dû débattre avec Hollande
Modifié le 27-01-2012 à 20h55
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LE PLUS. Agressif, imprécis, le réputé sérieux Alain Juppé n'a pas servi le président de la République face à un candidat socialiste tenace et malin. L'UMP doit réviser sa stratégie en fonction d'un François Hollande très en forme, selon Jean-François Probst, consultant politique proche de Jacques Chirac.
Alain Juppé est maire de Bordeaux et ancien secrétaire général du RPR, il connaît bien la France et les Français. Le ministre des Affaires étrangères a un métier très particulier, qui l’éloigne du terrain et des préoccupations des populations.
Alain Juppé lors de l'émission "Des paroles et des actes" le 26 janvier 2012 (France 2/AFP)
J’étais au cabinet du ministère des Affaires étrangères en 1981, je ne suis pas sûr que Valéry Giscard d’Estaing aurait envisagé d’envoyer débattre Jean-François Poncet, ministre des Affaires Étrangères face au candidat François Mitterrand ; en 1988, François Mitterrand, candidat à sa réélection, n’aurait pas envisagé d’envoyer son ministre contre Jacques Chirac. Il eut été inutile en 1995 d’envoyer Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères d’Edouard Balladur, contre le candidat Lionel Jospin.
Juppé, le technocrate agaçant
Mais j’ai eu de la peine pour mon ami Alain Juppé jeudi soir, le débat et François Hollande l’ont rendu vieux, technocrate, agaçant, pinailleur de chiffres, coupant la parole.
Étrangement, Alain Juppé a eu le même comportement qu’avait eu le Premier ministre Laurent Fabius en 1985 face à Jacques Chirac, président du RPR, lorsque ce dernier avait dit à Laurent Fabius, "cessez de m’interrompre comme un roquet". Fabius avait répondu de manière ridicule : "Mais vous parlez au Premier ministre de la France."
Il y a un point commun entre Valéry Giscard d’Estaing, Laurent Fabius et Alain Juppé, c’est que ces trois inspecteurs des finances ont, chaque fois qu’ils passent à la télévision, quelque chose de prestigieux, d’intelligent, d’expert, et en même temps d’agaçant parce qu’ils sont trop condescendants et sûrs d’eux-mêmes. Alain Juppé donnait l’impression jeudi qu’il fallait qu’il donne la leçon alors qu’il eût fallu qu’il débatte.
Moi qui ne vote pas socialiste, je n’ai pas voté pour François Mitterrand et je ne voterai jamais pour François Hollande, j’ai regardé avec objectivité ce débat et j’y ai trouvé François Hollande très bon.Il n’avait rien d’arrogant, il était explicatif. Face à ces annonces et explications, qui étaient un peu plus concrètes que d’habitude, il fallait détricoter les arguments sans agressivité et sans interruption permanente.
Les derniers moments d’échanges, à propos de l’Europe et de la croissance, sont sûrement apparus tellement plein de bon sens aux chefs de PME, auto-entrepreneurs, artisans, qu’au fond, François Hollande a fini par apparaître comme le défenseur des petits contre les gros, des pauvres contre les riches.
Où était Juppé le chiraquien ?
Alain Juppé n’avait alors plus l’image d’un gaulliste ou d’un chiraquien historique mais celle d’un défenseur de Nicolas Sarkozy sans humour. Surtout, que François Hollande a eu l’humour de lui dire que si Nicolas Sarkozy n’était pas le candidat de l’UMP, il avait peut-être ses chances.
Alain Juppé, que je connais depuis 1975, a manqué d’humour, de chair. Il représentait davantage l’austère rigueur et faisait preuve d’agressivité.
Contrairement à ce que l’UMP a martelé, François Hollande n’a pas été arrogant. Il est certes moins jovial que par le passé, mais il ne ressemble pas pour autant à son père qui était d’extrême-droite. Je crois que la seule erreur d’arrogance, de bêtise que François Hollande ait commise est de ne pas avoir évoqué le nom de la mère de ses quatre enfants, alors qu’elle a recueilli 48% des votes au deuxième tour des élections présidentielle de 2007. C’est le même score qu’avait réalisé Valéry Giscard d’Estaing en 1981. Ce n’est pas rien. C’est une erreur humaine et politique, j’espère que ce n’est pas sa compagne journaliste qui l’a poussé à cet écart.
Alain Juppé n’a surtout pas réussi à pointer ce que François Hollande tente de dissimuler sous le tapis : le mariage des homosexuels, le vote des étrangers aux élections locales, l’inscription dans la Constitution des principes fondamentaux de la loi de 1905 à propos de la séparation de l’Eglise et de l’État.
Et surtout, François Hollande prend ses désirs pour des réalités. Il fait du "wishfull thinking" comme disent les Anglo-saxons. C’est bien de vouloir produire français, de relocaliser, d’industrialiser, de mettre de l’argent sur le productif... Mais il table sur la croissance, et, pour l’instant, il faut qu’il trouve 100 milliards pour rétablir les comptes de la France et il n’en a trouvé que 29. Au lieu de faire le technocrate, l’énarque, le Giscard, le Fabius ou le Rocard, sur ce point, Alain Juppé aurait mieux fait de proposer à François Hollande de chercher ensemble des solutions afin que cela soit constructif.
François Hollande et Alain Juppé dans l'émission "Des paroles et des actes" sur France 2 le 26 janvier 2012 (France 2/AFP)
Comment faire pour redonner de la croissance au pays ? 200.000 petites entreprises (sur les deux millions d'entreprises françaises) pourraient embaucher un jeune par exemple. Comment les entreprises françaises vont-elles faire pour mieux exporter, mieux vendre à l’étranger ? Les Français et les Françaises qui travaillent à l’exportation ne savent pas vendre. Un Français qui part à Yaoundé sait moins bien vendre un produit qu’un Allemand ou un Italien, c’est une question de formation. Il faut supprimer le conseil économique et social qui coute très cher à la France, et qui ne sert à rien, et mettre dans ces locaux une école de formation pour l’exportation en y formant les Français d’origine étrangère qui savent parler arabe ou chinois. Car il est impossible que l’Allemagne ait 170 milliard d’excédents quand nous avons 70 milliards de déficits.
Alain Juppé est chef de la diplomatie, il ne doit pas seulement servir les caprices du président Sarkozy (avec les Turcs, les Birmans). Quand on pense que nous recevons ces jours-ci Alassane Ouattara, chef d'Etat ivoirien, un dictateur islamiste qui a obtenu le pouvoir par le sang, j’ai mal à ma France.
Défendre un quinquennat qu'il n'a pas choisi
Pour Alain Juppé, cela doit être terriblement dur d’accepter la réintégration dans le commandement intégré militaire de l’OTAN, de recevoir un dictateur comme Ouattara, cela doit être particulièrement dur aussi pour lui d’assumer des réformes ou des propositions non suivies d’effets ou de mauvais effets (le bouclier fiscal) et enfin d’assumer toutes les affaires qui sont venues ponctuer le quinquennat : Clearstream, Polanski, Frédéric Mitterrand et la Thaïlande, Jean Sarkozy et l’EPAD, Liliane Bettencourt et Eric Woerth. Lui qui avait déjà été condamné pour des délits qu’il n’avait pas forcément commis lui-même, et qui l’ont obligé à s’exiler et à être inéligible.
Il avait aussi été battu aux législatives lorsqu’il était ministre d’Etat dans le premier gouvernement Sarkozy parce qu’il pensait qu’il était plus fort et "droit dans ses bottes" comme il l’a montré jeudi soir. La TVA sociale, mesure impopulaire s'il en est, a en effet fait perdre 50 sièges à l’UMP. Alain Juppé, gaulliste social d’origine modeste, a donc eu beaucoup de mal à défendre les ploutocrates milliardaires, copains de Sarkozy, et à aller se battre contre François Hollande, qui s’oppose à cette mesure injuste, qui fait du mal à tous les Français.
Alain Juppé est néanmoins un homme fort, qui a du caractère, et qui a su prouver par le passé qu’il pouvait toujours être le numéro 2 de quelqu’un : de Jacques Chirac, d’Edouard Balladur, ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand et enfin numéro 2 de Sarkozy. Il avait quelque chose qui rappelait Lionel Jospin jeudi soir, un austère qui ne se marre pas. C’est dommage car l’Aquitain Juppé est capable d’être plus drôle et plus rond, mais sur France 2, il a préféré taper dans un édredon. Il a servi de terrain d’entraînement à un François Hollande qui est au meilleur de sa forme. À certains moments, il a été contraint de s’énerver, de sortir de ses gonds, parce qu’Hollande l’avait mis dans les cordes.
L'UMP sur ses gardes
Ce que je sais, c’est que ce vendredi matin, au siège de l’UMP, ils étaient aux 36e dessous, ils l’ont tous trouvé mauvais, ce n’est pas une bonne idée d’envoyer le ministre des Affaires étrangères, le mythe du grand énarque, de l’homme à l’intelligence remarquable, face au candidat PS. Il valait mieux à ce moment-là envoyer un battant comme Pierre Lellouche, ou un coquin, comme François Baroin.
Raymond Barre, Lionel Jospin étaient sûrs d’eux, trop. Ils n’ont donc pas fait le poids et n’ont pas été au second tour comme ils le pensaient. Cela montre qu’ils sont encore convaincus qu’Alain Juppé est, comme ils disent, "le meilleur d’entre nous".
Celui-ci a eu raison d’insister sur le fait que les présumés élus au mois de janvier sont toujours battus au mois de mai, on l’a vu avec Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre, Edouard Balladur, Lionel Jospin, ou Ségolène Royal. Mais c’est de la petite politique politicienne.
La Corrèze, la force de François Hollande
François Hollande a beaucoup de métier, peut-être pas l’expérience de quelqu’un qui aurait été ministre, mais le métier de quelqu’un qui a longtemps été premier secrétaire du parti socialiste. Les Français veulent des débats de haute volée, ils veulent sentir le cœur, les tripes de l’individu. La force de François Hollande aujourd’hui est la même que celle de Jacques Chirac en 1994-95, il a sillonné la France profonde. Sa Corrèze, son Tulle, le Limousin lui donnent la compréhension de ce que sont la misère, la difficulté.
Lorsque les inspecteurs des finances de Bercy vous parlent du pouvoir d’achat, ils ne savent pas réellement ce que cela signifie de ne pas pouvoir acheter une baguette ou un litre de lait. Malheureusement pour François Hollande, il semble que les socialistes aient oublié que le reste du monde existait et n’évoque plus que la crise et l’Europe. Où sont les pays en développement ? Les aides aux pays pauvres ? Il semble qu’il n’ait aucune compétence géopolitique en dehors de l’Europe.
François Hollande devrait donc surtout débattre avec François Bayrou, avec Marine Le Pen, avec Nicolas Sarkozy. Nous avons eu Jean-Baptiste, attendons Jésus Christ. Qu’on le veuille ou non, Marine Le Pen a de grandes chances d’être au second tour.
Aujourd’hui à droite, tout ceux qui ont une fibre gaullienne sont plus attirés par François Bayrou que par Nicolas Sarkozy. Cela ne m’encourage que davantage à soutenir François Bayrou. Ceci étant, il faudra aussi au candidat MoDem un important travail sur lui-même s’il entend débattre face à François Hollande.
Ce genre de débat montre qu’il ne sert à rien d’avoir des notes et d’avoir un savoir encyclopédique, il faut savoir être tenace, malin et ne pas s’énerver. Alain Juppé n’a pas respecté cela, et ressemblait en cela à Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy en 2007.
Propos recueillis par Mélissa Bounoua
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