Quel imbroglio que cette affaire de financement, suivie par MEDIAPART qui effectue un remarquable travail d'investigation.
L’ancien premier ministre libyen voulait parler à un juge français. Extradé vers la Libye, dimanche, en catimini par le gouvernement tunisien, Baghdadi Ali al-Mahmoudi avait pris contact via son avocat, vendredi, avec Renaud Van Ruymbeke, le juge d’instruction de l’affaire Takieddine, pour lui faire des révélations. « Il allait être amené à parler des financements des campagnes électorales et des questions d’enrichissement personnel », révèle son avocat, Me Marcel Ceccaldi à Mediapart.
Le 25 octobre 2011, l'ancien chef du gouvernement libyen avait déjà affirmé devant la cour d'appel de Tunis avoir
« en tant que premier ministre supervisé le dossier du financement de la campagne de Sarkozy depuis Tripoli » (voir
ici).
Selon Me Ceccaldi, Baghdadi Ali al-Mahmoudi aurait été, hier, victime d’un malaise et hospitalisé après un premier interrogatoire en présence de Abdelhakim Belhadj, le chef militaire islamiste de Tripoli. « M. Baghdadi Mahmoudi aurait été frappé et insulté », assure son conseil. L’extradition, décidée par le gouvernement tunisien, sans l’aval de la présidence de la République, a provoqué une crise au somment de l’Etat. De nombreuses associations de défense des droits de l’homme avaient mis en garde les autorités tunisiennes sur les risques encourus par Baghdadi Ali al-Mahmoudi s’il venait à être livré.
Quel a été votre dernier contact avec l’ancien premier ministre libyen, Baghdadi Ali al-Mahmoudi ?
Marcel Ceccaldi. Quand je l’ai rencontré dans sa prison tunisienne, le 16 juin, M. Baghdadi Mahmoudi m’a dit un peu solennellement qu’il voulait être entendu par un juge d’instruction français. Il m’a demandé de prendre les contacts, ce que j’ai fait, vendredi, auprès du juge Renaud Van Ruymbeke. Et cette démarche n’était pas dilatoire. Il s’attendait à son extradition, mais ce n’était pas la question.
Il m’a dit que le moment était venu pour lui de rétablir la vérité. Sur les causes réelles de l’intervention de l’OTAN en Libye, sur les raisons de l’acharnement manifesté par Nicolas Sarkozy et, enfin, sur la nature réelle des relations franco-libyennes. Il allait être amené à parler des financements des campagnes électorales et des questions d’enrichissement personnel. Jeudi, l’un de mes collègues avocats tunisiens, Me Salah Hassen, a pu revoir M. Baghdadi en prison, et l’ancien premier ministre lui a fait part de sa volonté de “tout révéler” au juge français.
Que savez-vous des conditions de son extradition ?
Il a été emmené, dimanche, à 5 heures du matin, alors que le président de la République tunisienne n’avait pas signé le décret d’extradition. Il a été transféré sur un petit aéroport au sud de Carthage, où il a été mis dans un avion pour Sfax, où l’attendait un appareil libyen. L’irrégularité de cette extradition ne s’arrête pas là puisqu’il semble que le procureur général de Libye lui-même n’était pas informé. C’est un geste de solidarité islamiste de la part du gouvernement tunisien.
D’ailleurs, dès dimanche, Abdelhakim Belhadj, le chef militaire de Tripoli, a semble-t-il lui-même interrogé l’ancien premier ministre, dans des conditions telles qu’il a dû être hospitalisé en fin d’après-midi. D’après nos informations, M. Baghdadi Mahmoudi aurait été frappé et insulté par M. Belhadj. J’ajoute que l’homme que j’ai vu, il y a dix jours, était déjà extrêmement affaibli. II a perdu trente kilos.
Quels sont les scénarios juridiques envisageables pour M. Baghdadi aujourd’hui ?
C’est très difficile parce qu’en réalité, il n’y a toujours pas d’Etat en tant que tel en Libye. Au mieux, l’on s’achemine vers une parodie de procès. Rendez-vous compte qu’il y a quatre membres de la Cour pénale internationale (CPI), pourtant protégés par l’immunité diplomatique conférée par les Nations unies, qui sont détenus depuis le 9 juin en vertu d’un ordre de détention du procureur général de Libye. Le comble, c’est que la milice armée de Zentane qui a exécuté cet ordre, et qui détient les membres de la CPI, est celle qui, par ailleurs, refuse de livrer Saïf al-Islam à Tripoli !
De mon côté, j’ai saisi la Cour africaine des droits de l’homme pour tenter d’empêcher l’extradition (voir sous l'onglet Prolonger), en soulignant que les droits fondamentaux ne seraient pas respectés en Libye, et que les conditions d’un procès équitable pour lui n'étaient pas réunies à Tripoli. Je craignais, et je crains toujours, qu’il ne soit victime de dommages irréparables.